Hystériade ou la vengeance d'Eurydice


 

Tragi - comédie lyrique pour 3 voix, piano acoustique et Fender Rhodes

 

 

Musique : Fabrice Boulanger

Livret et mise en scène : Christine Mananzar

Eurydice : Anne Baquet (soprano)

Hortense : Françoise Galais (mezzo-soprano)

Louis : Didier Ruiz (comédien)

Pianos : Fabrice Boulanger et Stéphane Leach

 

Scénographie : Laura Scaïni

Sculptures : Laura Scaïni et Michel Arnould

Lumières : Nino Ramos

 

J’ai puisé les sonorités et les couleurs vocales des protagonistes d’Hystériade dans le caractère même des personnages de Christine Mananzar et dans les états qu’ils traversent, plutôt que de les plier à des catégories vocales traditionnelles, et à la symbolique qui leur est attachée.

Je crois au timbre vocal comme signature d’une personnalité, comme premier aveu d’une intériorité, mais plus encore à la façon dont l’interprète, pour s’exprimer, réécrit sa propre voix dans le chant.

C’est donc la vocalité qui définit chacun des trois personnages, c’est elle qui traduit leur état émotionnel : elle est, dans la partition d’Hystériade, le lieu de la dramaturgie.

 

De même que la registration vocale, en dépit des catégories traditionnelles, s’efforce d’épouser au plus près le caractère des personnages, de même la composition musicale, suivant elle aussi au plus près la dramaturgie, convoque des styles musicaux contrastés : le livret de Christine Mananzar projette des personnages mythologiques dans un univers contemporain : ma façon de rendre musicalement cette dichotomie, aura été de placer la magnificence de la voix lyrique dans un contexte musical qui s’oppose traditionnellement à elle : la partition passe du tonal à l’atonal, croise le jazz, les voix chantées rencontrent la voix parlée, et pourquoi pas le « pastiche lyrique », comme le duo d’Hortense et Eurydice  au deuxième tableau.

Il s’agit moins de mélanger les genres que de suivre pas à pas les changements d’état des personnages, et de leur trouver l’équivalent musical le plus juste, le contexte sonore le plus proche.

Le choix instrumental va dans le même sens : le rapprochement d’un piano acoustique (instrument dit classique) et d’un Fender Rhodes (instrument apparenté au jazz) est fondé sur un principe de non-définition d’un style particulier. Chacun des deux pianos s’exprime dans un langage propre. Ils se côtoient, se superposent, s’attirent et s’influencent sans jamais vraiment devenir transparents et se fondre.

… Reflet musical de la solitude des protagonistes, chaque instrument est soliste et constitue une voix, une voie ...

 

Fabrice Boulanger, 1995

 

 

Sur les prédictions d’une cartomancienne, Eurydice fuit la cérémonie de son mariage pour échapper à son destin. Elle se réfugie chez son amie d’enfance, Hortense, devenue prostituée. Le souvenir de l’amitié passée ressurgit pour fonder les bases d’une entente nouvelle. La mort est loin, Eurydice s’ennuie ; elle jette un pont vers l’avenir, elle va travailler. Pendant ce temps, Louis, le fiancé délaissé, s’abandonne au désespoir. Il finit par rencontrer Hortense ; dans un hôtel de passe naît leur amour illusoire, hanté, pour les deux amants, par l’ombre d’Eurydice...

 

Hystériade ou la Vengeance d’Eurydice est un spectacle écrit à deux, mais où incessamment se forment des triangles, peut-être parce que, au cœur des allers-retours entre Christine Mananzar et Fabrice Boulanger se trouvait dès l’origine de l’écriture un troisième personnage : Françoise Galais pour qui le rôle d’Hortense a été écrit. Triangles encore sur le plateau entre les trois personnages, mais aussi trois niveaux musicaux : voix parlée, voix chantée, pianos, et trois formes de présences : chanteuse, acteur, instrumentistes. Ainsi, dans ce drame où s’affrontent des forces contradictoires, toujours un troisième pôle vient permettre la résolution - la transformation - du conflit.

 

Hystériade ou la Vengeance d’Eurydice conte donc plusieurs histoires au-delà de celle du livret. La première est celle de l’alchimie des alliances qui attachent certains êtres les uns aux autres, des liens qui se nouent incessamment selon les flux de l’amour, de l’amitié, de la mort.

 

La deuxième histoire est en vérité la première : c’est celle des arts du spectacle, qui au-delà du cloisonnement des disciplines, depuis toujours et dans des formes indéfiniment renouvelées, fondent dans le creuset de la scène, musique, drame et chant, comme si quelque chose d’essentiel s’y remettait sans cesse en jeu.

 

La troisième histoire est très contemporaine : c’est celle de la place de la voix chantée lyrique dans le monde du spectacle d’aujourd’hui. Le chatoiement lyrique, ce luxe de la vibration et de la voix hérité d’une tradition vocale de plusieurs siècles, le plaisir qu’elle suscite n’auraient-ils leur place que dans des œuvres d’un autre temps ? Hystériade ou la Vengeance d’Eurydice est un spectacle pour ce plaisir de la voix, des voix différentes qui frottent, parlé contre chanté. La musique en effet y joue le médiateur, c’est elle qui accorde et fait résonner ensemble les acteurs épars d’un drame qui, pour nouer des alliances, consomme bien des déchirures. Puisant les sonorités et les couleurs vocales dans le caractère des personnages et les états qu’ils traversent, l’écriture musicale court avec légèreté d’une forme à une autre, passe d’un style à l’autre non par césures et confrontations musicales, mais par glissement et mise en résonance. Par elle se résout l’affrontement du parlé et du chanté, c’est elle qui guide vers l’accord la voix de l’acteur et celles des chanteuses. C’est elle encore, glissée comme la pensée dans l'écriture scénique, qui accorde les corps des trois interprètes, indique, aux unes et à l’autre, au-delà de leurs différences, le lieu indiscernable du geste commun.